27 sept. 2013

La nostalgie heureuse

      




Amélie Nothomb revient sur les traces de son enfance, au Japon. | Yumeto Yamazaki / CINETV

Voilà seize ans qu'elle n'avait pas remis les pieds au Japon. Aussi, lorsqu'une équipe de France 5 lui propose de retourner sur les lieux de son enfance, Amélie Nothomb n'hésite pas une seconde. D'autant moins, comme elle le raconte dans son dernier livre, qu'elle est persuadée que le film ne se fera pas faute d'argent et d'intérêt. Or, il n'en fut rien, puisqu'en mars 2012, la romancière est revenue dans le pays où elle est née en 1967, avec Laureline Amanieux et Luca Chiari, auteurs d'un très beau documentaire diffusé à l'automne dernier dans la défunte collection "Empreintes".

Pour ceux qui ont lu son dernier ouvrage La Nostalgie heureuse (162 p., 16,50 €, Albin Michel, comme tous ses livres), ce documentaire rediffusé opportunément prendra sans aucun doute une saveur particulière. Non seulement parce qu'elle y relate, avec une émotion toute contenue, ses retrouvailles avec son pays natal et les êtres chers qui ont marqué sa jeunesse - tel Rinri, le fiancé de ses 20 ans qui a refusé d'être filmé -, mais aussi certains aspects du tournage, en donnant l'étrange sentiment qu'elle en fut sinon " absente ", tout du moins - en bonne connaisseuse du théâtre Nô - réfugiée derrière un masque pour ne pas laisser percevoir son trouble.
SOUVENIRS HEUREUX OU TRAUMATIQUES
Ces quelques impressions de lecture que l'on pourrait juger dépréciatives ne devraient cependant pas empêcher le lecteur-spectateur de découvrir le portrait émouvant - et plus intimiste que ne le laisse croire la romancière - qui se dessine au fil cette pérégrination sensible.
Des quartiers proprets de Shukugawa à ceux bruyants de Tokyo, en passant par les paysages dévastés de Soma près de Fukushima ou Kobe dans laquelle elle retrouve sa "mère japonaise", émouvante de dignité, se dévoilent les étapes fondatrices d'une vie sauvée par l'écriture. Ainsi de la fillette de Métaphysique des tubes, qui s'ouvrit à la beauté d'un pays et de sa langue, à la jeune employée meurtrie de Stupeur et tremblements qui se projetait en pensée dans le vide de la cité tokyoïte, Amélie Nothomb arpente ses lieux de mémoire. Confrontant ses souvenirs heureux ou traumatiques, comme celui de l'agression sexuelle dont elle fut victime lors d'une baignade au Bangladesh et qui vit naître en elle "l'ennemi intime" avec lequel, depuis lors, elle dialogue de livre en livre, la romancière nous éclaire sur son parcours. Et indissociablement lié à celui-ci, à ce qui fonde son rapport au langage - seul lieu de stabilité pour cette fille de diplomate qui vécut chaque changement comme un cataclysme. Et avec lui, à cette "écriture du corps", comme elle définit son travail de purification. "L'écriture est un moyen de me vider de toute la souillure que je contiens."
Sans doute est-ce là, dans la vérité de l'écriture, qu'Amélie Nothomb avance sans masque.

M Culture, par Christine Rousseau journaliste au Monde.

Aucun commentaire: